Extrait du texte écrit par Elora Weill-Engerer pour l’exposition collective De l’arsenal au laboratoire – placée sous son curatoriat au Houloc.
Juillet 2020
Le travail pictural d’Audrey Matt Aubert prend pour sujet de prédilection des architectures inhabitées et placées dans cet interstice entre figuration et abstraction. Ces constructions issues de l’histoire sont dessinées dans des tons pastels au milieu d’espaces éthérés et métaphysiques leur conférant le statut de formes idéales. À titre d’exemples, la Porte d’Ishtar et l’Autel de Pergame, deux monuments arrachés à leur contexte et réinstallés au Pergamon Museum de Berlin comme des maisons de poupées. Toujours dans une vue en coupe, ces édifices semblent tranchés comme des décors de théâtre. L’étymologie de “temple”, templum qui renvoie à la division et au temps, prend tout son sens ici. Comme des incarnations d’idées dans la matière, les élévations colorées dérogent à la pesanteur et aux âges. Dans des petits dessins à la mine graphite, l’hallucination est poussée plus loin, moyennant des formes anciennes et contemporaines que l’artiste agence dans des jardins lunaires.
La grande toile présentée, intitulée “Une histoire de perspectives” est inspirée directement d’une Annonciation de Francesco del Cossa dont Audrey Matt-Aubert retient, à la suite de Daniel Arasse, la représentation de l’incarnation à la Renaissance, ici rappelée par la colonne et le vase. L’illusion de la peinture nous fait oublier, dit l’historien de l’art dans On n’y voit rien, l’inconstructibilité de ce lieu mathématiquement faux. Les cieux brossés de touches chatoyantes et les festons soulignant la structure du péristyle donnent une dimension stylisée à une architecture qui nie son statut de ruine. Sorte de “palais de la mémoire” (ce que nous rappelle l’étymologie de “monument”), l’oeuvre évoque la méthode mnémotechnique des loci, pratiquée depuis l’Antiquité. Plus loin, le dessin L’alambic de Vénus, inspiré d’une autre oeuvre de Francesco del Cossa – Allégorie du triomphe de Vénus -, en reprend le socle qui surélève ici une forme étrange et ludique, se tarabiscotant dans l’espace comme un patrimoine organique et aérien. On pense également aux “fantasmagories” dans le sens des projections d’images hypnagogiques que le XVIIIème siècle donnait à ce terme.
Elora Weill-Engerer